Pour Pierre Clastres, l'examen des faits ethnographiques démontre la dimension proprement politique de l'activité guerrière.
La capacité guerrière de chaque communauté est la condition de son autonomie. Les guerres périodiques apparaissent comme le principal moyen d'empêcher le changement social.
Voici donc comment apparaît concrètement la société primitive : une multiplicité de communautés séparées, chacune veillant à l'intégrité de son territoire, une série de communauté de nomades dont chacune affirme face aux autres sa différence. Chaque communauté en tant qu'elle est indivisée, peut se penser comme un Nous.
C'est face aux communautés des bandes voisines qu’une communauté se pose et se pense comme différence absolue, liberté irréductible, volonté de maintenir son être comme totalité.
Dans ce contexte la guerre est une condition de vie de la société.
Chaque communauté refuse de s'identifier aux autres, de perdre ce qui la constitue comme telle, la capacité de se penser comme un Nous autonome.
Dans l'identification de tous à tous, ce qu’entraînerait l'échange généralisé et l'amitié de tous avec tous, chaque communauté perdrait son individualité.
La logique de l'identité donnerait lieu à une sorte de discours égalisateur « nous sommes tous pareils ! ». Ce serait abolir la distinction du Nous et de l'Autre, c'est la société primitive elle-même qui disparaîtrait.
Chaque communauté a besoin pour se penser comme Totalité une, de la figure opposée de l'étranger ou de l'ennemi. Ainsi, la possibilité de la violence est inscrite d'avance dans les sociétés primitives. La guerre est une structure de la société primitive et non l'échec accidentel d'un échange manqué.
Mais cette guerre doit être circonscrite.
Dans le cas d'une guerre de tous contre tous elle perdrait, par irruption de la division sociale, son caractère d'unité homogène : la société primitive ne peut consentir à la paix universelle qui aliène sa liberté, elle ne peut s'abandonner à la guerre générale qui abolit son égalité.
Il n’est possible chez les sauvages ni d'être l'ami de tous, ni d'être l'ennemi de tous.
Qu'est-ce que l'État ? C'est le signe achevé de la division dans la société, en tant qu'il est l'organe séparé du pouvoir politique : la société est désormais divisée entre ceux qui exercent pouvoir et ceux qui le subissent. La société n'est plus un Nous, une totalité une, mais un corps morcelé, un être social hétérogène. La division sociale, l'émergence de l'État, sont la mort de la société primitive.
Le meilleur ennemi de l'État c'est la guerre.
Inspiré par Hobbes, Pierre Clastres conclue : La guerre empêche l'État, l'État empêche la guerre.