Les navigateurs du savoir
10 siècles avant JC, bien longtemps avant que les navigateurs européens osent même s’éloigner des côtes de peur de se perdre, les navigateurs polynésiens découvrent sur leurs pirogues les dizaines de milliers d’îles que forment cette splendeur d’archipels en forme un triangle entre Hawaii, la Nouvelle Zélande et l'île de Pâques.
Abandonnant les forêts de Nouvelles Guinée, les navigateurs partent explorer et conquérir le monde jusqu’aux îles Fidji, Samoa et Tonga. 500 ans avant Christophe Colomb, les polynésiens avaient déjà peuplé presque tous les archipels du Pacifique en 80 générations seulement. Ils embarquaient sur des catamarans découverts, construits avec des outils de corail de pierre et d’os humain. Les voiles étaient en pandanus tissés, les lattes assemblées avec de la fibre de coco, le calfatage en résine d’arbre à pain. La navigation se faisait sans instrument.
Les colons occidentaux se sont longtemps demandés d’où venaient les peuples des îles et bâtirent des tas de théories de perte en mer, de dérives etc…qui avaient comme point commun de nier les compétences des ingénieux et intrépides navigateurs. Aujourd’hui, nous savons non seulement que les polynésiens exploraient et colonisaient les mers et les îles, mais qu’ils avaient aussi établi des lignes commerciales maritimes régulières.
Le génie des anciens polynésiens* ne peut se comprendre qu’à travers les éléments fondamentaux de leur univers : le vent, les vagues, les nuages, les étoiles, le soleil, les oiseaux -croiser une sterne blanche signifie que la terre est à moins de 200 Km- la lune, les poissons et l’eau. Chacun de ces éléments donne des indices précieux à qui sait les lire. Les navigateurs ont percé à travers les siècles le secret de la grande eau, la physique et la métaphysique des vagues. Rien ne leur échappe, sa salinité, son goût, sa température, ses débris de plantes et ses cinq types de houle.
A l’exemple des savants, le navigateur traditionnel apprend par l’expérience directe et par la mise à l’épreuve des hypothèses, avec des informations qui proviennent de toutes les branches des sciences naturelles, de l’astronomie, du comportement animal, de la météorologie et de l’océanographie. La formation se poursuivait pendant toute la vie et nécessitait énormément d’investissement et de discipline, pour finir récompensée par le plus haut niveau de prestige dans une société où le statut était tout.
En 1975, sous l’initiative du navigateur marquisien Nainoa Thompson , l’Hokule’a prend la mer pour un voyage de 4400 km selon les méthodes ancestrales pour une courageuse réappropriation de leur histoire et la revendication d’un héritage de talent dérobé. Depuis ce premier voyage, le bateau a parcouru plus de 150 000 km à travers toutes les archipels avec pour seul guide, les sens du navigateur, le savoir de l’équipage, la fierté, la puissance et l’autorité de tout un peuple ressuscité.
Les navigateurs de l’Hokule’a étaient capables de nommer et suivre près de 200 étoiles dans le ciel nocturne, connaissaient toutes les constellations. Il suffit de suivre 10 étoiles pour se guider et maintenir le cap toute une nuit en mer mais il ne suffit pas de regarder les étoiles pour savoir où l’on est, il faut savoir d’où l’on vient en mémorisant l’itinéraire que l’on a pris.
Toutes ces compétences prises individuellement sont déjà éblouissantes, mais le génie du navigateur ne repose pas sur le détail mais sur l’ensemble, sur sa capacité à mettre tous ces éléments en lien dans un environnement en constant changement.
La science et l’art de la navigation sont holistiques.
Un navigateur ne dort pas, seul à la poupe, il est comme un ermite parmi l’équipage, personne ne le dérange, pour laisser son cerveau agir, sans registre, sans carte, sans compas, sans montre, sans sextant.
Nous avons nous aussi besoin de navigateurs sur la mer agitée de la complexité mondialisée. Ce n’est pas la technologie qui doit nous guider mais bien notre connaissance et nos sens.
C’est ce que savent faire nos sages, ceux qui vivent éloignés de l'agitation du monde et qui représentent le pouvoir noétique**. Écrasé par les pouvoirs économiques et politiques qui utilisent une pensée mécaniste et linéaire, divisent et morcellent le savoir, le pouvoir noétique n’a pas suffisamment de place et il est temps de lui rendre.
*Pour en savoir plus: lire "les navigateurs ancestraux" de Wade Davis
**Noétique: La Noétique (du grec ‘noûs’ : connaissance, esprit, intelligence) : C'est le domaine de la pensée, de la connaissance, de l'intelligence.
Ces opportunités peuvent évidemment déboucher sur de l’innovation. L’innovation peut arriver de n’importe où, pas seulement des spécialistes et des séances d’innovation programmées, n’importe qui dans l’entreprise peut être source d’innovation. Un nombre important d’innovations et de progrès sont issus de personnes qui ne connaissent rien ou pas grand-chose à la question. Ce qui rappelle le bon mot de Marcel Pagnol : « Tout le monde savait que c’était impossible. Il est venu un imbécile qui ne le savait pas et qui l’a fait ». Mais, encore une fois, l’état d’esprit de l’équipe fera la différence. Rien ne se dira si les réactions habituelles entre collègues ressemblent à « de quoi il se mêle celui-là ? ». La règle d’or pour la créativité et l’innovation, c’est « tout le monde est légitime pour penser ».
Extrait de Passeport pour la métamorphose. Natacha Rozentalis
Et en cuisine : la pâte à tartiner Nutella (à l’origine de la multinationale Ferrero), le vinaigre de Xéres, le Madère, les Bêtises de Cambrai, le Caprice des Dieux. Selon la légende, la tarte Tatin fait suite à une maladresse de deux sœurs, Caroline et Stéphanie Tatin (1838-1917). Tous les édulcorants de synthèse actuellement sur le marché. L’Aspartame qui a fait la fortune de Searle qui est devenue Nutrasweet. Il fut découvert par hasard par Jim Slatters, en se léchant les doigts pour tourner les pages d'un carnet de notes. Il était en train de développer un nouveau médicament pour traiter les ulcères quand il en fit tomber sur ses doigts. Le Sauternes : au XVIe siècle, un printemps et un été chaud se succédèrent. Les raisins étaient précoces. Puis il s’est mis à pleuvoir sur le Sauternais, repoussant ainsi la date des vendanges. Quelques jours plus tard, les raisins étaient recouverts d’une fine pourriture brune. Les vignerons tentèrent quand même la fermentation et la grande surprise fut que le goût n’était pas putride mais possédait une puissance aromatique exceptionnelle.